Deux lectures de Bernanos


 Journal d’un curé de campagne

« La parole de Dieu, c’est un fer rouge »


Ce journal qui n’en est pas un : pas de dates, peu de lieux, est une polyphonie magnifique sur la grâce, le christianisme, le mal.

Ce curé dont nous ne connaîtrons jamais le nom, seulement l’âge à la fin, se trouve confié une paroisse en pleine campagne, rude et austère, où il est épié, jugé, jaugé. Là se jouent aussi des drames familiaux terribles, des sous-entendus et jalousie destructeurs dans lesquels ses paroles simples et inspirés mettent le feu en guérissant spirituellement certaines plaies.

Ce curé à la fois humble et passionné, maladroit et juste, est au centre de cette polyphonie où s’élancent des voix diverses de prêtres ou non  : le doyen de Blangermont, prêt à toutes les compromissions parce que « tout ce qui existe doit être utilisé pour le bien » ; le docteur athée Delbende, pour qui les courbettes faites aux riches par l’Eglise sont une trahison  du Christ ; et la sublime figure du curé de Torcy, chrétien passionné brûlé d’amour, révolté  contre une certaine forme d’Eglise : « L’Eglise dispose de la joie, de toute la part de joie réservée à ce triste monde. Ce que vous avez fait contre elle, vous l’avez fait contre la joie (…) Mais que vous servirez de fabriquer la vie même, si vous avez perdu le sens de la vie ? (…) Ca ira encore tant que votre industrie et vos capitaux vous permettront de faire du monde une foire, avec des mécaniques qui tournent à des vitesses vertigineuses, dans le fracas des cuivres et l’explosion des feux d’artifice. Mais attendez, attendez le premier quart d’heure de silence. Alors, ils l’entendront, la parole, - non pas celle qu’ils ont refusée, qui disait tranquillement : « Je suis la Voiela Véritéla Vie » - mais celle qui monte de l’abîme : « Je suis la porte à jamais close, la route sans issue, le mensonge et la perdition ».On sent vibrer dans ses paroles « L’Evangile de la Joie ». Ce personnage est le double accompli du jeune curé, le prêtre qu’il ne sera jamais.

Ce journal se lit aussi comme une mort programmée. Dès le début malade, le jeune curé finit par cracher du sang et par mourir. Ce qui donne la figure ascétique d’un prêtre ne se nourrissant que de pain et de vin ; dès lors cette descente vers la mort se retourne en fait en un combat spirituel pour la sainteté : tomber et se relever parce que « tout est grâce », même la mort. Quel contraste dès lors entre l’apparente platitude d’une vie sobre et douloureuse et le feu spirituel qui l’anime : faire de son Jésus le feu brûlant de son cœur. En effet, « l’enfer, c’est de ne plus aimer ».

Bien-sûr, le mal rôde, en la personne notamment de Mlle Chantal, mal en elle et diffusé autour d’elle. Le mal qui vient des mots, de la médisance pour nuire et détruire. Pourtant Dieu, par l’intercession du curé, a réussi à vaincre la révolte blasphématoire de sa mère.  Le Mal « ne sera toujours qu’une ébauche, l’ébauche d’une création hideuse, avortée, à l’extrême limite de l’être ». Ainsi, la voie est-elle de se guérir, dans le cœur de Jésus Christ, qui est la seule paix.

Roman sublime fait de contrastes, passion et rigueur, feu et sobriété.    



Nouvelle histoire de Mouchette

"Leurs paroles n'ont plus de pouvoir, elles sont comme la poussière qui sort du van quand on vanne"


Ce roman sombre se déploie dans un univers où nulle lumière n’apparaît jamais , à l’image d’un climat noir et pluvieux obscurci encore par les taillis, par une nuit qui semble omniprésente. Ronces symboliques qui étouffent le cœur de l’homme. C’est le monde rude des paysans, comme si le travail et la pauvreté avaient durci leurs membres, asséché leur cœur et atrophié leur intelligence. Le seul feu : l’alcool qui les détruit encore plus dans une illusion de chaleur.

C’est là que vit Mouchette, fragile comme une petite mouche, et comme elle entourée d’immondices et de détresse. Mouchette et ses quatorze ans que la mort va happer au final d’une vie de misère. Elle fait partie de ces misérable, plus désespérés que ceux d’Hugo parce qu’aucun salut ne s’ouvre, même pas celui de la vieille Philomène qu’on croit pouvoir un temps offrir un espoir à Mouchette. Mais la mort l’habite trop pour qu’elle puisse aimer vraiment.
Le mal est partout : dans la nature sans pitié, dans le travail des hommes, dans leur cœur. Un mal dont les personnages ne parviennent pas à s’extraire parce qu’ils ne parviennent pas à poser sur lui un regard réflexif. Il se retourne alors contre eux dans une fatalité tragique, à l’image de ce qu’il advient dans le cœur de Mouchette. Le mal qui lui vient de l’extérieur, qui l’atteint dans un paroxysme de violence avec le viol, s’alimente lui-même dans la honte, le dégoût, comme si la souillure était non plus un acte extérieur subi, mais était devenue elle-même, empêchait toute révolte orgueilleuse. Dès lors le suicide final, dans une eau trop vaseuse pour être purificatrice, apparaît comme la seule issue tragique puisque même la parole qui lie les hommes est amputée.

Si le viol est l’image grotesque et avili de l’amour, tous les liens d’amour sont défigurés : l’amour conjugal, filial, mais aussi la bienveillance entre un maître et son élève ; l’amitié, elle, est inexistante. Sur ce néant de l’humanité, cette solitude sans nom où l’homme meurt de dégoût de soi et d’indifférence, plane immense et terrible, une monumentale absence, dont le vide même résonne comme un appel assourdissant. 


Commentaires

  1. Merci pour ces lectures qui vont à l'essentiel et donnent envie de se replonger dans et auteur majeur.

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